Dans cette rubrique consacrée au dernier roi musulman d’Al Andalous, je vous propose de lire les paragraphes suivants intitulés :

 

vBoabdil, dernier roi nasride de Grenade,

 

vLe départ de Boabdil pour Tlemcen,

 

vIllustration des flux migratoires des réfugiés maures-andalous en 1492,

 

vBoabdil ou son oncle ? Fès, Tunis ou Tlemcen ? Confusion de certains historiens ou chroniqueurs,

 

vLocalisation de la tombe de Boabdil dans la médina de Tlemcen,

 

vUn cimetière : deux appellations,

 

vDu cercle des officiers au musée de la ville,

 

vDescription de l’épitaphe de Boabdil,

 

vTexte en arabe gravé sur la pierre tombale,

 

vTraduction française du texte de l’épitaphe,

 

vTraduction espagnole du texte de l’épitaphe,

 

vUne lecture de l’épitaphe parfois contestée,

 

vL’exposition universelle de Paris de 1878,

 

vRetour au musée de Tlemcen,

 

vLa généalogie nasride grenadine enfin révélée,

 

vUne disparition mystérieuse, 

 

vUn avis de recherche de l’épitaphe

 

 

Boabdil, dernier roi nasride de Grenade

L'Alhambra (de l'arabe Al-Hamrâ الحَمْراء ou الْقَلْعَةُ ٱلْحَمْرَاءُ) « château rouge » est un ensemble palatial, en Andalousie, réputé comme l'un des monuments les plus beaux de l'architecture islamique. Situé sur le plateau de la Sabika au-dessus de la ville de Grenade, l’ensemble, entouré d’une enceinte fortifiée, se compose de l'Alcazaba, des palais nasrides, du Généralife (جنة العريف), « Paradis du connaissant » de ses jardins ainsi que le palais de Charles Quint, ajouté par les vainqueurs castillans. En raison de sa valeur universelle exceptionnelle du point de vue de l'histoire, de l'art ou de la science, l’Alhambra est inscrite auprès de l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

Photo prise dans le thème de l'Alhambra, en 1964, collection personnelle de Merya Gazelle
Photo prise dans le thème de l'Alhambra, en 1964, collection personnelle de Merya Gazelle

Le départ de Boabdil pour Tlemcen

  

Boabdil naquit à Grenade probablement en 1456 ou 1457. Connu également sous le nom de Abu Abd Allah Mohammed ben Abi al-Hasan Ali, surnommé Az-Zughbi (l’infortuné), El Rey Chico (le petit roi ou le jeune roi) ou El Moro (le Maure) par les castillans, il fut le dernier roi nasride de Grenade.

 

 

Face aux assauts répétés des armées chrétiennes d’Isabelle Ière de Castille et de Ferdinand II d’Aragon, l’armée nasride ne parvint plus à résister. Suite à la capitulation officielle du 2 janvier 1492, Boabdil, dernier roi de Grenade, livra les clés de l’Alhambra aux vainqueurs et quitta définitivement l’Andalousie dans l’hiver 1493. Il emprunta une voie de navigation maritime.

Illustration  des flux migratoires des réfugiés maures-andalous en 1492

Carte illustrant les flux migratoires de la population maure d'Andalousie vers le Maghreb Central en 1492, dessinée par Merya Gazelle

 La côte « algérienne » fut la destination choisie par les réfugiés maures fuyant la Reconquista, notamment parce que la côte «marocaine », attaquée par l'Espagne et le Portugal ne pouvait pas les accueillir.   

Tlemcen, comme de nombreuses autres villes d’Algérie (Constantine, Annaba, Bougie, Oran, Miliana, Médéa, Collo, Dellys, Alger, Koléa, Blida…) partage une grande partie de la mémoire de la civilisation médiévale arabo-berbéro-andalouse. Au Maghreb central, la toponymie, le nom de nombreux lieux renvoie au passé andalou (Exemples : la plage des Andalouses à Oran, le quartier des Tagarins à Alger réservé aux réfugiés de la région de Valence, etc…). Les familles de descendance andalouse sont nombreuses. Juste pour Alger, les historiens estiment qu’au 17ème siècle, sur 100.000 habitants, 25.000 étaient andalous. 

 

 

Depuis la chute de Cordoue, en 1236, le royaume de Tlemcen accueillait les réfugiés andalous. Le commerce entre Abdelaoudites / Zianides et la péninsule ibérique s’effectuait par le port de Honaine, dans la région de Tlemcen, qui entretenait des relations régulières avec les ports d’Alméria et de Malaga mais également par le port de Mers-el Kebir, près d'Oran. L’existence de courants maritimes, repérée depuis des siècles dans cette zone particulière de la Méditerranée, créa et continue de créer des conditions favorables aux liaisons maritimes entre les riverains.

 

Boabdil poursuivit donc sa route jusqu’à Tlemcen et se rendit auprès du sultan régnant, Mouley-Mohammed et Tsabiti. Il décéda dans la capitale zianide en mai 1494.

 

Il faut rappeler qu’outre les relations commerciales entre les deux dynasties régnantes et les fortes relations culturelles dues à l’afflux massif de réfugiés andalous, il existait des liens de sang entre la dynastie zianide et les souverains de Grenade ainsi que des accords de défense.

 

 

ü  Le roi zianide Abou Hammou a laissé un écrit à son fils Abou Tachfine « Wassiyatou soulouk fi siyasati al-moulouk » lui enjoignant de toujours se tenir prêt pour soutenir et aider ses frères de Grenade. Ce document historique témoigne des liens politiques très forts unissant les Zianides aux Nasrides de Grenade face à la reconquête chrétienne de l’Espagne. 

 

"Les Zianides se rapprochèrent des Nasrides de Grenade dès le début du 13eme siècle. En 1309, sous Abou Hammou Moussa 1er, ils furent alliés du roi de Grenade contre la coalition formée par Aragon, la Castille et le Maghreb extrême (l’actuel Maroc)…Des guerriers de la Foi recrutés à Oran et à Honaine (dans l’actuelle Algérie) par le gouverneur nasride d’Almeria apportèrent leur énergique soutien aux combattants grenadins. " C'est ce que décrivit l'historienne françaiseRachel Arié (1924-2018), dans son ouvrage intitulé" les relations entre Grenade et la Berbérie au 14eme siècle". 

 

Ce n’est donc pas un hasard si le dernier roi de Grenade alla chercher refuge à Tlemcen.

 

Fernando de Zafra, (1444-1508) secrétaire à la cour des rois catholiques, chargé de surveiller le passage en Afrique des Maures exilés, avait mentionné, le 9 décembre 1492 que Boabdil quitta Andarax pour se rendre à Tlemcen mais qu’il y resta peu longtemps.  

 

 

Un allemand, nommé Georg Horn (1620-1670), professeur d’histoire, de géographie et de droit public à l’université de Harderwyk et de Leyde, aux Pays Bas, précisa en latin, dans un ouvrage étrangement intitulé l’Arche de Noé"Ferdinand et Isabelle assiégèrent Grenade et s’en emparèrent en l’année 1492, pendant que son dernier roi, Abou Abdallah, surnommé Az-Zughbi (l’infortuné) s’exilait en Afrique, auprès du roi de Tlemcen qui lui accorda l'asile. Et c’est ainsi que finit la domination des Maures en Espagne."

 

 

 

L' information sur le lieu exact de l'exil de Boabdil fut reprise, en 1992,  par Leonard Patrick Harvey (1929-2018), Chef de Département au King's College, Université de Londres, dans son ouvrage sur l’Espagne musulmane de 1250 à 1500.  Ci-joint, le court extrait en question.

« Du royaume de Tlemcen étaient partis pendant des siècles secours et excitations » mentionna Nelly Blum, Professeur d’histoire au Collège d’Oran, dans son ouvrage sur la croisade de Ximénès en Afrique, paru, en 1898. Il ajouta que « Ximénès devait avoir entre les mains le rapport détaillé fourni par Lorenzo de Padilla, gouverneur d’Alcala et jurat d’Antequera » et que les données rapportées lors de l’exploration secrète au cœur du Royaume de Tlemcen alors que Lorenzo accompagnait secrètement le dernier roi maure de Grenade, « furent utiles pour les entreprises à venir ». 

La croisade de Ximénès en Afrique, par Nelly Blum, Oran, 1898.
La croisade de Ximénès en Afrique, par Nelly Blum, Oran, 1898.

Dans l’ouvrage, Histoire d’Oran en 1931, de Léon Jules Didier (1865-1932) ancien élève de Saint Cyr (promotion 1887) devenu général de brigade français, on peut lire ceci :

Exil de Boabdil auprès du Roi de Tlemcen, sous la surveillance de Lorenzo de Padilla, gouverneur d'Alcala et jurat d'Antequera
Histoire d'Oran par le Général Didier, Tome IV, Période de 705 à 1500

 

Boabdil ou son oncle? Fès, Tunis ou Tlemcen? Confusion de certains historiens ou chroniqueurs :   

 

 

Quelques historiens ont contribué à entretenir une certaine confusion sur le lieu de l'exil,  la date et le lieu  de décès de Boabdil. Ils sont européens et nord-africains.

 

Jacques Bleda, chroniqueur espagnol, écrivit que Boabdil passa en Afrique sans mentionner de détails.

 

Marmol-Carvajal, laissa croire que Boabdil alla demander asile au roi de Fès.

 

Al Makkari (1577-1632), bien que né à Tlemcen, et auteur d’une immense compilation de référence sur l’Espagne musulmane, rédigea des informations sur la mort de Boabdil qu’il ne put, à partir du Caire, vérifier. Il reconnut que des descendants de la dynastie nasride résidèrent à Tlemcen sous le nom patronymique de Bensoltane mais maintint l’hypothèse que Boabdil s’exila à Fès. Il ne put manifestement de son vivant voir le tombeau de ce roi, dont il avait entendu parler.

 

Aujourd’hui encore, on peut lire sur certains sites d’histoire [1]:" On ne sait pas exactement où ni quand il meurt (1527 à Fès, 1532-1533  à Tunis…), mais il termine son existence dans des conditions difficiles."

Entre Fès et Tunis, ce sont plus de 1200 km de côte qui sont passés sous silence. L’Algérie, tout entière, est une partie du continent africain occupée par l’homme sans discontinuer depuis l’aube du quaternaire. Les archéologues vont jusqu'à évoquer un second berceau de l'humanité, à la suite des découvertes sur le site d'Ain Lahneche, près de Sétif ( à 300 kms à l'est d'Alger) d'outils remontant à 2,4 millions d'années. Les historiens sont cependant, encore peu nombreux, à s’intéresser à cette région et à lui accorder l’importance qu’elle mérite. Des pans entiers de l'histoire du Maghreb central sont à reconstituer...



[1] http://passerelles.bnf.fr/dossier/alhambra_01.php

 

 

Pour revenir à Boabdil, il y eut vraisemblablement une confusion de noms et de personnes. De 1484 à 1489, Boabdil avait dû partager son pouvoir vacillant avec son oncle, lequel portait le même nom: Abou-Abdallah-Mohammed. L’oncle était surnommé Al-Zaghal, (le courageux). "Une fois partis en exil, les deux personnages ont été pris l'un pour l'autre ils ont été confondus dans les récits, puis dans les relations écrites... On voit les fausses opinions, qui s'étaient établies chez les auteurs indigènes aussi bien que chez les écrivains espagnols, venir se briser contre l'autorité irréfragable du marbre sépulcral" [2].

 

[2] Cherbonneau Auguste "Le royaume de Tlemcen et les émirs Beni Zeiyan", Revue des questions historiques XXII juillet 1877, Page 550, 

 

La découverte, à Tlemcen, de l’épitaphe de Boabdil, mentionnant sa généalogie complète, apporta la preuve que le roi de Grenade était décédé à Tlemcen. L’oncle, que des historiens avaient pris pour le roi, s’était, lui, peut être, exilé à Fès. Encore eût –il fallu, dans le cas de l’oncle, trouver une tombe ou des indices matériels qui puissent le prouver. 

 

Si l’on en croit Léon Jules Didier, l’oncle Al-Zaghal se serait lui aussi exilé dans le Maghreb Central, plus précisément dans la ville d’Oran 

 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France/ 2000 - 68550

Localisation de la tombe du dernier roi de Grenade

C'est le mémoire rédigé par Charles Henri Emmanuel Brosselard (1816-1889), haut fonctionnaire dès 1840 (période coloniale française), directeur général du Service de l’Algérie, membre de la Société Asiatique, qui a attiré mon attention sur ce sujet.

 

Le journal asiatique, dans son édition de janvier-février 1876, contient en effet, un mémoire épigraphique et historique sur les tombeaux des émirs Beni-Zeiyan (les Zianides) et de Boabdil, dernier roi de Grenade, découverts à Tlemcen. (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k93207h#)

 

Différentes fouilles furent menées dans la ville, conduites par l'architecte Léopold Maigné

 

L’épitaphe de Boabdil fut retrouvée, vers 1851, prés de la mosquée de Sidi-Brahim dans une demeure, bâtie sur l’emplacement qui avait autrefois servi de cimetière royal. 

 

Monuments construits sous le règne du roi zianide Abou Hammou Moussa II
Monuments construits sous le règne du roi zianide Abou Hammou Moussa II

Si pour certains, la mosquée de Sidi-Brahim, fut construite à l’époque du roi zianide Abou Hammou Moussa II, à l’usage des professeurs et des étudiants de la Médrassa attenante, pour d’autres, elle fut ajoutée au XVIème siècle.

 

Selon l’architecte Edmond Clément Duthoit (1837-1889), attaché à la Commission des monuments historiques, le mausolée de Sidi-Brahim –« est un petit monument, le plus complet de tous ceux (par lui) rencontrés ; il a gardé, entre autres choses, son soubassement de mosaïques qui est fort beau. »

 

La mosquée de Sidi-Brahim, par contre « bien qu’elle offre les mêmes dispositions que les mosquées bâties antérieurement, parait plus moderne, ses détails sont moins riches et moins étudiés ». Il faut préciser que le quartier de l’édifice a été habité par les ottomans, c’était le seul édifice religieux consacré au rite hanafite, prédominant en Turquie et dans les Balkans. 

Localisation de la tombe de Boabdil, dernier roi nasride de Grenade dans la vieille ville de Tlemcen, ancienne capitale du royaume zianide
Localisation de la tombe de Boabdil, dernier roi nasride de Grenade dans la vieille ville de Tlemcen, ancienne capitale du royaume zianide

Carte dessinée par Merya Gazelle, portant le nom des rues autour de ce qui fût une nécropole royale, le cimetière de Sidi Brahim El Masmoudi, à Tlemcen (Algérie).

 

 

Le Journal officiel de la République Française, dans sa version du 5 avril 1876, publia un article sur la découverte, à Tlemcen, de l’épitaphe de Boabdil. La séance de présentation fut animée par Charles Defrémery (1822-1883), spécialiste d’histoire et de littérature arabe et persane. 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

Un cimetière: deux noms (Abou-Yakoub, Sidi-Brahim)

Photos de l'architecte Léopold Maigné, prises aux environs de 1850
A gauche un mausolée et à droite, une tombe princière du bois sacré de Sidi-Yakoub, autre cimetière aristocratique de Tlemcen
Tombeau de style andalou du XIVeme siècle
"Tombeau de la princesse" ou "Tombeau de la sultane", bois "sacré" de Sidi-Yakoub, Tlemcen.

Le souverain zianide Abou Hammou II fit élever, en 1363-1364, un mausolée pour servir de sépulcre à son père Abou-Yakoub et à ses oncles: Abou Tsabit et Abou SaidIl s'agit du mausolée de Abou-Yakoub.

 

Quelques années plus tard, le mausolée accueillit  Sidi-Brahim el Masmoudi, décédé en 1401. Ce saint homme, plein de science et de piété, que la ferveur populaire a longtemps vénéré, a fini par donner son nom à l'endroit.

 

Le mausolée de Sidi-Brahim est attenant au cimetière de Sidi-Brahim.  C’est probablement dans ce cimetière des sépultures des rois zianides que le dernier roi de Grenade fut inhumé. Il bénéficia de la part de la dynastie zianide de tout le respect dû à son rang.

 

M. Edmond Clément Marie Duthoit (1837-1889), architecte en chef des monuments historiques d'Algérie,  nous a livré quelques dessins de motifs de l'intérieur du mausolée de Sidi-Brahim. 

Dessins de l'architecte Duthoit, source: gallica.bnf.fr
Dessins de l'architecte Duthoit, source: gallica.bnf.fr

  

Boabdil, qui avait fait excaver les tombes de ses ancêtres, lors de la capitulation du royaume nasride de Grenade, ne pouvait se douter que sa propre tombe serait profanée, au moins, à deux reprises :

  • une première fois, avec l'urbanisation anarchique et précaire des conquérants ottomans,
  • une deuxième fois, avec « la restructuration » de la cité multiséculaire, sous la colonisation française et le percement d’une voie de circulation. La dépouille de Boabdil devait gésir, enterrée sous une nouvelle rue, baptisée du nom de Ximenès : Francisco Ximénez de Cisneros (1436-1517), proche conseiller de la reine Isabelle, « la catholique », cardinal et grand inquisiteur d’Espagne !   

« C’est là, croyons-nous, un mauvais calcul, en même temps qu’une œuvre indigne de la civilisation que nous représentons. Mais il semble qu’il faille prendre son parti des vandalismes inutiles; Tlemcen arabe, comme le vieil Alger, s’amoindrira de plus en plus et succombera sous la pioche et le cordeau des vainqueurs. » William et Georges Marçais in Les Monuments arabes de Tlemcen. Editeur Albert Fontemoing, 1903.

Du cercle des officiers au musée de la ville

L’épitaphe de Boabdil fut d’abord déposée au cercle des officiers, selon les témoignages recueillis par Charles Barbet, dans Tlemcen, perle du Maghreb: vision et croquis d’Algérie. Puis, la pierre sépulcrale fut transportée au musée de la ville, après que le général Charles Marie Napoléon de Beaufort d’Hautpoul, qui commandait les subdivisions de Mostaganem et de Tlemcen eut donné son accord en 1857.

 

L’orientaliste français Auguste Cherbonneau (1813-1882), fondateur de la société d’archéologie de Constantine, directeur du Collège impérial arabe français d’Alger, écrivit le 15 mai 1876 dans un article publié dans la Revue des questions historiques: " Nous avons visité plus d’une fois le musée de Tlemcen; nous y avons étudié avec profit les épaves du passé que renferme cette collection d’archives sarrasines ; mais la pièce qui nous intéresse le plus, le monument qui restera comme la plus curieuse découverte de l’ancien préfet d’Oran, c’est le marbre tumulaire de Boabdil, aujourd’hui encastré dans un mur de la cour de la mairie. Cette précieuse dalle, qui couvre une longue inscription, fut ramassée à proximité de Sidi Ibrahim, dans les démolitions d’une vieille maison mauresque, où elle avait servi de seuil."

Description de l'épitaphe de Boabdil

L’épitaphe est décrite comme se composant de trente-deux lignes très serrées, gravées sur une plaque de marbre onyx qui mesure quatre vingt onze centimètres (91 cm) de longueur sur quarante quatre centimètres (44 cm) de largeur, avec une épaisseur de six centimètres (6 cm).

 

"Les caractères, d’un type andalou un peu grêle, ont perdu presque tout leur relief. C’est un assemblage brouillé et confus où l’œil a quelque peine à s’orienter. Les taches du marbre et les nombreuses veines, à teintes diverses, dont il est sillonné, ajoutent encore à la confusion. La lecture d’un texte épigraphique aussi altéré constitue donc un travail pénible et de longue haleine." expliqua M. Brosselard.

 

Grâce aux commentaires éclairés du muphti de TlemcenSi-Hammou ben –Rostane, le texte de l’épitaphe put être, en grande partie lu, retranscrit et compris. Il demeurait toutefois quelques lacunes dans la retranscription, en raison de l’état de la pierre tombale.

Texte en arabe gravé sur l'épitaphe de Boabdil

Traduction française du texte arabe gravé sur le marbre de l'épitaphe

 

Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Bénédiction de Dieu sur notre prophète Mohammed et sa famille! Tombe d’un roi mort en exil. A Tlemcen, étranger, délaissé parmi ses femmes ; après qu’il ait combattu, celui dont le Très Haut s’est détourné…Le destin inflexible l’a frappé. Mais Dieu lui donna la résignation, lorsque des épreuves s’abattaient sur lui. Dieu a répandu à jamais sur sa sépulture une rosée céleste salvatrice.

 

Cette tombe est celle du roi juste, magnanime, généreux, combattant accompli, l’émir des musulmans et le représentant du Maître des mondes, notre seigneur Abou Abdellah, le victorieux avec l’aide de Dieu, fils de notre seigneur l’émir des musulmans,                             le saint, Abou-l-Hassen, fils de l’émir des musulmans Abou-l-Hadjadj, fils de l’émir des musulmans Abou Abdellah, fils de l’émir des musulmans Abou-l-Hadj, fils de l’émir des musulmans Abou-l-Oualid, fils de Nacer el Ansari, El Khazradji, Es-Sâdi, l’Andalousien. Que Dieu sanctifie sa tombe et lui assigne une place élevée dans son paradis. Il combattit dans son pays d’Andalousie, pour le triomphe de la foi, ne s’inspirant que de son zèle pour la gloire divine, et prodiguant sa généreuse vie sur maints champs de bataille, dans les mêlées terribles, où les armées chrétiennes innombrables se ruaient sur une poignée de cavaliers musulmans. Et il ne cessa, au temps de sa puissance, et pendant son califat, de combattre pour la gloire de Dieu, donnant à la guerre sainte tout ce qu’elle exige, et relevant, quand il venait à chanceler, le courage de ses guerriers… Il arriva dans la ville de Tlemcen, où il trouva toujours un bon accueil et de la compassion. C’est alors que s’accomplit ce qu’avait décidé Celui dont les arrêts sont irrévocables…Et dont les mortels subissent la loi, suivant ce qu’Il a dit: "Toute âme goûtera la mort"…Et la mort le surprit sur la terre étrangère, loin de sa patrie, loin du pays de ses aïeux, les grands rois descendants d’El Ansar, les protecteurs de la religion de l’Elu. Et Dieu l’a élevé vers la félicité…et l’a rappelé à Lui de sa pleine volonté, entre les deux prières du soir, la nuit du mercredi de la nouvelle lune de Châbane de l’an huit cent quatre vingt dix neuf, et il avait environ quarante ans d’âge.

 

Mon Dieu! Puisses-tu agréer les combats que j’ai menés pour la foi. Car ce que je crains, c’est qu’ils ne me fassent point trouver grâce devant toi. ………………..Et c’est là ce qui me fait espérer ton pardon et ta bonté. Par les mérites de Mohammed, ne frustre pas mon espoir!

 

La gravure de la pierre tombale démontre que le défunt était âgé de 40 ans, c'est à dire 40 années lunaires, soit 38 ans selon le calendrier solaire. En 1494, El Zaghal, l’oncle de Boabdil était bien plus âgé...Il aurait eu au moins 70 ans.

 

Traduction espagnole de l'épitaphe de Boabdil

LAPIDA SEPULCRAL DE BOABDIL, ÚLTIMO REY DE GRANADA             Traducción de Francisco Fernández González.
LAPIDA SEPULCRAL DE BOABDIL, ÚLTIMO REY DE GRANADA Traducción de Francisco Fernández González.

Une lecture de l'épitaphe parfois contestée

 

J’ai lu attentivement la publication de M. Fernández González, intitulée : Corrección a una noticia de «El Diario Asiático» de París, acerca de una lápida sepulcral hallada en Tremecén y atribuida a Boabdil, último rey de Granada (Lectura verificada ante la Real Academia de la Historia). Boletín de la Real Academia de la Historia, tomo 1, año 1877, cuaderno II (https://www.cervantesvirtual.com/portales/boletin_real_academia_historia/obra-visor/tomo-1-ao-1877/html/)

 

De même que celle de M. Adrien de Longperrier, extraite du Journal des savants de 1881, (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54690d). J’avoue que « le parti pris » perceptible à la lecture de ces documents, la pauvreté des arguments et l’incohérence du discours m’étonnent. 

 

Les historiens ne sont pas toujours d'accord sur la généalogie d'Abou El Hassen, père de Boabdil. Ils ne citent pas, tous, leurs sources ou se contentent de reprendre ce qui a été, déjà, énoncé "comme une vérité", par d'autres, sans se donner la peine de vérifier ou de croiser les informations. Combien de textes sont sujets à caution? Combien citent des faits sans les hiérarchiser? Combien écrivent pour plaire à un souverain, sa cour, sa capitale?

 

La reconstitution de la dynastie nasride a été difficile et a dû donner bien du fil à retordre. Mais une épitaphe, dont le texte et la généalogie sont dictés par la descendance immédiate du défunt, et dont les éléments d'information sont corroborés par d'autres sources, peut-elle mentir? 

 

 

M. Charles Brosselard, avec cette découverte inopinée de l’épitaphe, et la longue recherche impartiale de la compréhension du texte gravé sur le marbre sépulcral nous laisse des publications, où la logique, la rigueur du raisonnement et de l’argumentation scientifique l’emportent sur le reste. Les écrits de M. Brosselard gardent, de ce fait, à mon sens, aujourd’hui encore, toute leur pertinence.

 

L'exposition universelle de Paris de 1878

Au 19ème siècle, la France manifesta un engouement à organiser de nombreuses expositions universelles. Plusieurs raisons expliquèrent ce phénomène. Les industriels désiraient mettre en avant la qualité de leurs produits, le gouvernement caressait l’objectif d’appliquer une politique commerciale libérale et les intellectuels semblaient soucieux d’esthétique, de formation, de partage des connaissances. L’exposition universelle apparut comme "un espace de dialogue, de débat et de pédagogie à une époque où la diffusion de l'information devint un des facteurs essentiels du progrès scientifique et économique.[3]

 

Du 1er mai au 31 octobre 1878, Paris abrita, pour la troisième fois, l’exposition universelle. Elle eut lieu sur le Champ de Mars. Le Palais de fer exposa les contributions de toutes les nations. La « rue des nations » caractérisée par des façades typiques des pays exposants, occupa un côté de l'édifice tandis que l'autre côté était réservé aux produits français et coloniaux.

 

Le Maroc et la Tunisie disposèrent d’un pavillon parmi les nations. La collection en provenance d’Algérie fut abritée dans un palais, à part, de style mauresque au cœur du parc du Trocadéro

 

[3] Vasseur Édouard. Pourquoi organiser des Expositions universelles ? Le « succès » de l'Exposition universelle de 1867. In: Histoire, économie et société, 2005, 24ᵉ année, n°4

 

https://www.persee.fr/docAsPDF/hes_0752-5702_2005_num_24_4_2573.pdf (consulté le 16 août 2018)

 

 

 

Etudes sur l'exposition universelle de Paris de 1878 par M.E. Lacroix, gallica b.n.f.
Palais de l'Algérie, rue des nations, Exposition universelle de Paris 1878
Intérieur du palais algérien par Monod Emile
Intérieur du palais algérien par Monod Emile

Celui qui présidait la commission algérienne à l’exposition universelle de Paris, en 1878, était M. Charles Brosselard, l’auteur du mémoire épigraphique et historique sur les tombeaux des émirs Beni-Zeiyan et de Boabdil, dernier roi de Grenade, découverts à Tlemcen.

 

 

Rien d'étonnant à ce que quelques unes de ses découvertes furent exposées à cette grande manifestation scientifique et culturelle.

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

Le troisième volume du catalogue officiel de l’exposition universelle internationale de 1878 imprimé, à Paris, par le commissariat général de l’exposition était dédié à la section française et à l’Algérie. Le groupe II avait pour thème: éducation et enseignement. Voici la liste des monuments historiques algériens présentés à l’exposition universelle de 1878, telle que publiée dans le catalogue officiel[4]. 

 

[4] Catalogue officiel. Tome 3 / Exposition universelle internationale de 1878 à Paris

 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k904258/f254.image.r=boabdil%20epitaphe%20tlemcen?rk=96 (consulté le 16 août 2018)

 

 

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 

L’épitaphe de Boabdil fut donc présentée à l’exposition universelle de Paris, en 1878, au côté de celle du roi Abou Hammou Moussa, sixième souverain de la dynastie zianide.

 

"Telle fut cette exposition… Les sympathies qui entourèrent son ouverture, les visiteurs qui se pressèrent chaque jour plus nombreux dans son enceinte (près de 1 500 000 le premier mois), lui assurèrent dès le premier jour un succès brillant" pouvait on lire dans le chromo-guide à l’exposition universelle de 1878Cette exposition universelle à Paris a accueilli plus de seize millions de visiteurs, un succès inégalé jusqu'alors... 

 

Retour au musée de Tlemcen

 

Quelques temps après l’exposition universelle à Paris de 1878, des visiteurs  témoignèrent par écrit  avoir vu au musée de Tlemcen l’épitaphe de Boabdil. Jules Leclercq (1848-1928) relata, en 1881, dans son ouvrage "De Mogador à Biskra", sa visite dans la ville selon lui, la plus originale d'Algérie, et mentionna y avoir vu l’épitaphe de Boabdil. De même Docteur LM Reuss, médecin militaire,  l'attesta, en 1884, dans son ouvrage intitulé "A travers l’Algérie". Jacques Elisée Reclus (1830-1905), considéré par la revue Hérodote, comme l’un des géographes les plus importants de son temps, témoigna dans sa Nouvelle géographie universelle, volume 11: " Les seuls beaux édifices qui restent de la Tlemcen des temps berbères sont des mosquées: quelques-unes ont gardé de beaux minarets à colonnettes de marbre, décorés de mosaïques, de peintures, de faïences vernissées; la nef de la grande mosquée soutenue par 72 colonnes, et surtout celle de la mosquée Abou’l Hassan, qui se partage en trois travées soutenues par des piliers d’onyx, sont les curiosités architecturales de Tlemcen, qui possède en outre quelques inscriptions, recueillies dans un musée: on y remarque entre autres l’épitaphe du tombeau de Boabdil, le dernier roi de Grenade, mort à Tlemcen, et non pas, comme le dit une légende, sans valeur, au bord d’un torrent du Maroc, dans une obscure rencontre."   Enfin,  notons Arthur de Claparède (1852-1911), docteur en droit et diplomate suisse, qui dans son ouvrage "en Algérie", témoigna en 1896 ainsi: "Au sud de la place de la Mairie et en face de la grande mosquée se trouve l’Hôtel de Ville, qui renferme un petit musée où l’on a réuni des inscriptions et divers fragments d’architecture trouvés à Tlemcen ou dans les environs. Les arabisants peuvent y lire l’épitaphe sur onyx du tombeau de Boabdil, dernier roi de Grenade, mort dans l’exil à Tlemcen…Pour moi, je n’ai malheureusement pu qu’admirer la beauté de la pierre et l’élégance de la ciselure."[5] 

[5] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5789382k/f175.image.r=boabdil%20epitaphe%20tlemcen ( consulté le 15 aout 2018) 

La généalogie nasride grenadine

Les fausses opinions, établies chez quelques auteurs ou chroniqueurs sont mises à mal, lorsqu’elles se heurtent aux inscriptions d’une pierre funéraire. Le marbre sur lequel est gravée toute une généalogie, s’avère éloquent. La véritable généalogie nasride est, en effet, révélée par les descendants directs de Boabdil. Qui d’autre que les premiers concernés connaîtrait mieux cette généalogie ?

Une disparition mystérieuse

Cette épitaphe a disparu de manière fort mystérieuse du musée de Tlemcen. 

Un avis de recherche de l'épitaphe

Selon un fin connaisseur du patrimoine de la ville de Tlemcen, feu Mohammed Baghli, un avis de recherche de l’épitaphe du dernier roi de Grenade, a été lancé, en avril 1992, par l’agence nationale algérienne d’archéologie et de protection des sites et monuments historiques, à l’occasion de l’exposition universelle de Séville.

(https://mirath.org/senouciates/lepitaphe-du-boabdil-de-tlemcen/)

 

Ladite Exposition universelle s'est tenue, du 20 avril au 12 octobre 1992, à Séville, en Espagne. Cette manifestation culturelle célébrait les 500 ans de la découverte de l'Amérique.

 

 

Il semblerait que l’appel soit resté sans suite.